Quantcast
Channel: Le blog de Jean Campredon » imprimerie
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2

Les caractères de l’imprimerie – la SCOP 34 (2/2)

$
0
0

Au 8 impasse de Bagnolet, à Toulouse, sont réunis tous les propriétaires de l'imprimerie 34. Ce n'est pas une réunion du conseil d'administration, mais leur rendez vous quotidien. A la fois salariés et propriétaires, voulant plus garder leur liberté qu'un gros salaire, voici les portraits d'une bande d'idéalistes, vieux soixante huitards ou autres engagés bénévoles qui ont fait vivre une structure étonnante.

Gérard, membre fondateur

C'est tout sourire que Gérard vous reçoit dans l'accueil de l'imprimerie en haut des marches de cette vieille maison qui héberge les bureaux. Petit, la barbe et les cheveux blancs, le dos vouûé, un peu bedonnant sous un tee shirt rouge. C'est un monsieur agréable et chaleureux qui juste après les présentations vous dirige tout de suite vers la salle de repos pour proposer une cigarette et prépare ensuite du café pour parler de cette PME. « Ouais, peut être que les SCOP encaissent mieux le choc, mais tu sais, on est un peu particulier moi je roule encore dans une vieille deux chevaux. »

 Gérard est un des membres fondateurs, en place depuis les débuts. Il a migré des machines jusqu'aux bureaux. Il a participé à toute la vie de l'imprimerie. Ce sera sans doute le dernier des fondateurs à partir. Très militants mais jamais encartés nulle part, lui et les autres ont voulu se donner les moyens de diffuser leurs travaux puis de donner ces moyens aux autres. « On a toujours voulu ouvrir le débat. On a toujours été dans le combat ».

Ils étaient d'abord avec une association, l'AAEL, l'Association pour l'Art et l'Expression Libre, qui existe toujours et dont ils font encore parti. Dans l'élan de mai 68, ils voulaient continuer l'information, la critique et le débat. Cependant, ils n'ont jamais voulu être encarté nulle part. Anarchistes, libertaires, gauchistes, ils se revendiquent libres penseurs. Au travers de leur association, ils imprimaient et diffusaient déjà des affiches et des tracts. Puis deux d'entre eux ont racheté une imprimerie.

Françoise, du magazine Flash

Françoise est elle aussi de ces premiers imprimeurs du 34 rue des Blanchets. Comme Gérard elle a débuté avec les machines, aujourd'hui, elle s'occupe du magazine qu'ils éditent. « Au début on faisait de la typographie, puis on a eu des offset de bureaux et on s'est équipé au fur et à mesure. On s'est formé sur le tas, des fois le résultat était dégueulasse ». Le papier n'était pas un choix venu de lui même. Ils n'y connaissaient rien « Mais ça a quelque chose de magique, des fois des élèves viennent et ils adorent voir ces machines tourner ». Après un IUT de journalisme, elle a longtemps pointé au chômage puis est devenue éducatrice pour finir par travailler au 34. Elle explique « Au début, le mouvement des SCOP voulait pas de nous. On était pas dans le même état d'esprit. » C'était une époque pleine d'effervescence « on croyait que la révolution était arrivée »

L'imprimerie 34 n'a pas toujours été une SCOP. Ils étaient à l'origine deux artisans à avoir repris l'imprimerie d'un homme parti pour le kibboutz qui est resté trois mois pour les former. Ensuite, ils ont embauchés deux salariés. Les autres (futurs associés) travaillaient avec leur association AAEL . Ils ne pensaient pas qu'ils travailleraient tous là. D'abord sous la forme d'une coopérative d'artisan, c'est en 1985 que l'imprimerie est devenue une SCOP. Le statut se rapprochait plus de ce en quoi ils croyaient. Surtout, la SCOP leur donnait le statut de salarié, la situation était plus tenable qu'artisan.

Ludo, anar' derrière un écran

« Quand on voit des SCOP à cent salariés, c'est trop. Sur une petite échelle ça va, mais quand c'est énorme ça n'a pas beaucoup de différence avec les autres boites. Au final, c'est le statut de coopérateur qui les protège, mais ils ne remettent rien en cause. » explique Ludo.

 Ludo, est très grand, assez mince, il est habillé tout en noir, les cheveux très courts avec une petite crête qui dépasse. Avec ses grosses rangers aux pieds, il fait d'abord penser aux caricatures que l'on peut se faire d'un anar'. Mais son attitude posée et un peu désinvolte, la clope au bout des doigts et une voix calme vous rassure. C'est derrière son ordinateur qu'il explique son parcours. Il est là depuis onze ans et travaille sur le numérique. Anarchiste revendiqué et assumé, il a quitté un boulot bien mieux payé : « J'étais bien au dessus du SMIC, 35 heures assurées, ça correspondait pas à ce que je croyais. J'ai quand même pris le temps de réfléchir. Mais si je bosse jusqu'à 60 heures par semaine ici, même si c'est pas non plus le truc parfait, au moins, c'est plus dans ma vision du travail. Je sais à quoi m'attendre, j'ai pas de déception. »

 Quand ils ont fondé l'imprimerie, ils croyaient au collectif. Le grand soir était pour demain. Pour Françoise, « C'était une aventure, on y croyait, maintenant c'est plus difficile, les jeunes n'ont plus ce grand espoir qui nous portait à l'époque ».

Ils sont quinze aujourd'hui. Treize associés et deux salariés. Chacun d'entre eux a un pouvoir sur les décisions, chacun participe à la pérennité de l'imprimerie. L'imprimerie, c'est chacun d'entre eux alors souvent ils ne comptent pas les heures.

Adrien, a grandit avec l'imprimerie

Il est venu la première fois à quatorze ans pour son stage de 3ième. Mauvais élève, il a vite prit une filière professionnalisante. Apprenti, puis stagiaire, il devient associé à 22 ans. C'est l'ambiance qui l'a frappé, il ne s'imagine pas maintenant ailleurs : « Mais si l'imprimerie coule, il va bien falloir avancer ». Le départ des anciens le met mal à l'aise « J'en ai des nuits blanches ». Il a grandit avec cette imprimerie, il a vu le redressement dont l'imprimerie a été victime. 10 ans de galères.

Quand il est venu ici il a été surpris par l'ambiance, tout le monde rigolait, il ne s'imaginait pas le monde du travail ainsi. « Maintenant je rigole moins, enfin surtout parce que ce ne sont plus les mêmes choses qui me font rire ». Il aime travailler ici. C'est surtout la possibilité de peser dans les décisions qui lui semble importante. Il a maintenant ses propres clients et ses propres réseaux. Avec le départ des anciens, sans doute lui aussi ira s'occuper du bureau. « Ce métier ça pèse, tu peux pas faire ça toute ta vie. Ou sinon, tu es cassé de partout. »

Et comme ses aînés, il a été très engagés. « J'étais dans le CA de quatre associations fut un moment. Mais là je peux plus. J'en ai marre. Réunion, bureaux etc. C'est là que j'ai rencontré ma copine, mais bon, on se voit presque que quand il y a une réunion. Je viens d'abandonner mon dernier poste. Je serais là en tant que bénévole, servir des bières ou installer quelques trucs, mais maintenant je m'occupe de mon jardin. »

 Djamel, a vu Adrien grandir

 Lui, est conducteur offset et massicoteur. Arrivé juste avant Adrien, Djamel voulait devenir styliste, aller dans une grande école à Paris, mais celle ci était trop chère et il n'a reçu aucun financement. Alors, il a commencé était traceur coupeur dans le textile. Il est passé de Lacoste à Adidas. 5 ans de comptabilité aussi. Il en a eu marre. « Puis un CDD de 6 mois ici. Ça fait 24 ans maintenant » dit il en rigolant. Cet homme, toujours le sourire au coin des lèvres, ne regrette pas un instant de travailler ici. Il sait que sa voix compte, et dans une structure c'est quelque chose d'important. C'est ce que l'on retrouve partout ici. Tout le monde veut partager son point de vue. C'était la vision initiale de l'AAEL et tout le monde ici semble vouloir faire perdurer cette vision. Djamel « avec un D », n'est pas aussi engagé qu'était Adrien, pourtant le massicoteur se définit, toujours en riant, «  A gauche tu vois, mais gauche hein ! À gauche gauche gauche ! »

Stephan, technicien salarié non associé

 Jeune, le visage assez sec, la barbe de trois jours, lui est habitué d'entreprise plus classique. Employé depuis moins de 2 ans, il n'a pas le statut d'associé, et ne pense pas le demander. Il regarde d'un œil critique la SCOP. « L'ambiance est pas pareil, c'est plus sympa certes, mais il y a un vrai problème de hiérarchie, de communication. Quand il y a un problème, il y a personne qui est vraiment responsable, donc pas forcément d'autorité. » La structure même de la SCOP fait que les responsabilités sont portées par tout le monde. Donc, si un des chaînon se décale, c'est tout le monde qui en souffre. Personne ne peut vraiment se dédouaner sur un employé ou sur sa hiérarchie. Bien sur, son actuel emploi a moins de chance d'être délocalisé en Espagne comme le fut son ancien poste.

 Malgré son licenciement, et contrairement aux autres, il n'est pas engagé. Il a de la sympathie, est d'accord avec leurs différents combats « mais c'est le pot de terre contre le pot de fer. Je sais pas si ça sert vraiment à quelque chose » Ce qui ne l'empêche de faire son travail au mieux et d'apporter le maximum « là par exemple, je peux faire ce qu'ils faisaient par quelqu'un d'autre, c'est quand même près de 4000€ d'économies par mois. »

Nicole et Marie Thérèse fondatrices retraitées

Nicole et Marie Thérèse viennent régulièrement dans les locaux du 34 « On essaye de ne pas trop interférer, mais on pense qu'on peut toujours aider » explique Marie Thérèse qui travaillait aux maquettes. « On reste en contact » raconte Nicole, l'ancienne comptable. En effet, malgré leur retraite, ces deux anciennes viennent souvent. Pour saluer les amis mais aussi les aider. Elles étaient des huit premiers associés. Elles sont maintenant aussi les premières à partir et à laisser derrière elles près de quarante ans d'une vie. « On a toujours voulu s'exprimer, et je pense qu'on l'a fait. On voulait être libre. Même la CGT nous virait des manif'. On disait ce qu'on voulait » se souvient Marie Thérèse. Elles repassent donc ici quand elles le peuvent. Parce que ce sont des amis, mais aussi elles sont encore associées. En effet, le départ de la SCOP ne leur fait pas perdre leur statut d'associé. Elles ne sont plus salariées, mais continue de participer à la vie de l'entreprise. Pourvues d'un droit de regard, elles n'ont pour autant que peu de poids sur les décisions qui restent uniquement aux mains des salariés associés. Leur avis est écouté mais ce n'est plus à elles de choisir, et cela peut se révéler difficile. Comme le dit Marie Thérèse : « C'est difficile de ne pas faire en sorte d'interférer. On aimerait donner nos idées, parce que là ils sont vraiment dans une sale situation.»

Ils veulent toujours respecter ce qui fait l'essence de l'imprimerie 34, ils se sont battus pour un grand nombre de causes. Parfois peu entendus mais aussi parfois relayés. Gérard parle par exemple de l'histoire du ‟patriarche‟. Un gourou qui pendant des années, n'a pas été inquiété, protégé derrière ses centres de désintoxication. « On habite à côté de là où s'était installé le patriarche. Pas loin donc de La Boer. On a vu des gens qui s'en étaient enfuis et qui nous ont raconté ce qu'ils subissaient. On a tout fait avec l'AAEL pour diffuser l'information. » A tel point qu' Engelmajer, le patriarche, leur a intenté un procès dans les années 90. Mais ils ont été disculpés. Cependant, il a fallut encore des années pour que le système de fraude et de violence qu'avait installé le gourou, ainsi que bien d'autres exactions, soit dévoilé et qu'enfin, il parte fuir au Bélize.

Libres et solidaires dans leur entreprise, ils se le sont appliqués cette philosophie à eux même. « On vit aussi ensemble, on est quatre couples qui vivent en communauté ». Ils ont partagés leurs terrain, leurs maisons sont chacune côte à côte et ils continuent de faire murir leurs désirs de changement ensemble. C'est ce qui semble les avoir fait bien vivre.

En regardant derrière lui, malgré ses douleurs de dos, le salaire toujours bas, Gérard est fier de ce qu'ils ont fait. « Je suis content de ce qu'on a fait, on a voulu s'exprimer et on l'a fait. Toujours en gardant notre volonté et notre envie de nous exprimer librement ». L’histoire en tant qu'employé de l'imprimerie 34 est bientôt terminée pour lui. Il va devoir passer les rênes, pourtant, il se donne du temps avant de n'être plus qu'associé. Si on n'arrive pas à savoir si c'est de la mélancolie ou du courage, il conclut « Je reste. Je reste encore un an ou deux. Juste le temps que ça s'arrange un peu... »

 

 

 

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2

Latest Images

Trending Articles


Transports Yannis (45)


nantespronos


ULM : Vente QUICKSILVER Sport 2S 582 (70) AP140915341


Problème vitesses sur Ford 5610


L'endocrinologue palois condamné à 2 ans de prison avec sursis


Transports Guiltat (58)


le flou dans l’art


ULM : Vente TECHNOFLUG Piccolo Solo 2350B (Luxembourg) AP311018960


On a retrouvé la 7ème compagnie


SACDD - classe NORMALE - spé« AG » (concours externe)





Latest Images